Il y a quelques années, Marc Andreesson a publié un essai dans le Wall Street Journal intitulé « “Why Software Is Eating The World” (Pourquoi les logiciels dévorent le monde) Alors qu’il est vrai que les logiciels et algorithmes sont en train de changer rapidement notre monde, en ce qui concerne la santé et la médecine, ce n’est pas suffisant. Bien qu’il existe plus de 100 000 applications logicielles de santé mobile pour les smartphones iOS et Android, la plupart disposent de fonctionnalités limitées. Il y a néanmoins des exceptions, car des applications telles que My Fitness Pal et Lose It aident certains à perdre du poids et défient la domination de longue durée d’acteurs tels que Weight Watchers. Il existe des applications qui utilisent simplement l’appareil photo du smartphone pour prendre une photo d’une lésion ou d’une irritation cutanée afin de permettre un diagnostic à distance : il ne s’agit pas nécessairement d’un médecin, puisque les algorithmes sont dans de nombreux cas capables d’effectuer cette tâche.
Cependant, dans la plupart des cas, les grandes avancées en matière de santé mobile requièrent des « compléments » ou du matériel relié par une connexion sans fil au smartphone. Ces « compléments » peuvent être portés, comme par exemple les nombreux traqueurs d’activité et les bracelets qui peuvent détecter le niveau d’hydratation, une attaque avant qu’elle survienne ou encore suivre la pression artérielle et les signes vitaux. Ils peuvent prendre la forme d’un collier pouvant capturer les indicateurs physiologiques du cœur ou encore celle d’une chaussette pouvant contrôler les signes vitaux d’un nouveau-né. Beaucoup d’entre eux se présentent sous la forme de pansements qui adhèrent à la peau et peuvent contrôler en continu l’électrocardiogramme pour le rythme cardiaque et l’état des fluides du corps.
Il est important de signaler que de nombreux « compléments » ne se portent pas du tout. La balance connectée, par exemple, ou le brassard de pression artérielle sans fil : ils sont simplement utilisés pour les mesures ad hoc mais l’application réunit les données et les transforme en graphiques. Des dalles de sol ont récemment été utilisées pour effectuer le suivi des pas des personnes âgées atteintes de la maladie de Parkinson ou souffrant de problèmes d’équilibre et encourager la stabilité des déplacements. Il existe une catégorie entière de « compléments » qui se développent rapidement et effectuent des tests de laboratoire via smartphone. L’indicateur de glucose, par exemple, qui se connecte sur la base du smartphone, prend la place d’un appareil séparé dédié. Des compléments similaires sont en cours de développement : ils sont capables d’effectuer des tests sanguins de routine à partir d’une goutte de sang et tirent parti du domaine en pleine expansion de la microfluidique. Au-delà des compléments capables d’effectuer des tests de laboratoire, il existe des pilules dotées de micropuces permettant de contrôler l’adhérence. Vous comprenez l’idée : des centaines de matériels qui s’ajoutent aux smartphones.
Pour éviter toute confusion, j’ai inventé le terme « Complém-appli » puisque trop de personnes pensent que la santé et la médecine mobiles passent exclusivement par les applications logicielles. Ce néologisme capture le sens : un logiciel et du matériel qui, associés, ont le potentiel de faire avancer la médecine. Pour que les « Complém-applis » gagnent du terrain, il faut également que les logiciels soient capables de traiter toutes les données capturées par le complément afin que les individus et les médecins puissent rapidement afficher et interpréter les informations sur un seul écran. Ce domaine n’est pas notre point fort à ce stade, car, s’il existe pléthore de capteurs matériels et d’applications, la plupart de ces combinaisons ne sont pas très bonnes pour la visualisation des données. À mesure que ce domaine continue de se développer, les individus porteront ou utiliseront différents capteurs et pourront visualiser un tableau de bord bien agencé affichant rapidement toutes les données. De plus, l’association optimale de matériel et de logiciel est à la base de l’apprentissage automatique, permettant que votre contenu personnel conduise des analyses prédictives pour améliorer votre santé. De plus, beaucoup d’individus qui portent ou utilisent plusieurs types de matériel voudront voir un tableau de bord bien construit affichant toutes leurs données.
Pour revenir à la publication très influente de Marc Andreesson, je voudrais ajouter que les « Add-Appters » vont avoir un impact fort sur l’avenir de la médecine. Ils ne vont pas « dévorer » la science, mais ce nouveau monde sans fil va mener à une transformation radicale de la santé dans les années à venir.
Eric J. Topol, MD
Eric J. Topol, docteur en médecine
Responsable académique, Scripps Health
Cardiologue, Scripps Clinic
Professeur de génomique, The Scripps Research Institute